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des barricades au bagne

ainsi maintenu et lié, ne peut faire le moindre mouvement.

L’angoisse m’étreignait le cœur : ces apprêts m’annonçaient un spectacle aussi barbare qu’ignoble…

Un adjudant vient lire la décision du commissaire des chiourmes (le grand maître du bagne), condamnant le patient à six coups de corde.

Je vois s’avancer celui que, près de moi, on avait appelé Guérino : c’était le bourreau !

Latreille, d’un ton sec, lui dit :

— Exécutez !

Le bourreau retire sa main droite de dessous sa casaque ; cette main est armée d’une corde d’environ quatre-vingts centimètres de long. La corde tourne, siffle et s’abat sur les omoplates du malheureux rivé sur le banc. Le patient hurle de douleur.

Un ! dit Latreille.

L’épiderme, autour des épaules, passe du blanc au bleu.

Le bourreau lève et laisse à nouveau retomber la corde. Les hurlements recommencent de plus belle.

L’adjudant principal compte froidement les coups :

Deux !

La peau du condamné se boursoufle à éclater, mais la corde s’abat une troisième fois : le sang gicle, les chairs apparaissent tuméfiées. J’entends la voix de Latreille compter : Trois !

Et la corde retombe ! cette fois le torse du patient devient rouge de sang et les hurlements se font rauques.

Quatre ! dit Latreille.

Mes yeux ne se peuvent détacher du bourreau et de la corde meurtrière. Guérino est pâle comme un mort et Latreille semble l’observer. Je vois la corde se lever et retomber sur la victime qui, maintenant, pousse des cris qui n’ont rien d’humain.

Cinq ! continue Latreille, dont la face bestiale paraît se réjouir de la vue du sang.

Une sixième fois le bras du bourreau brandit la corde devenue sanglante et la laisse retomber sur les épaules déchirées, labourées du malheureux patient. On entend comme un râle affreux et un frémissement agite les misérables spectateurs de cette scène horrible.