Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/215

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
196
mémoires d’un communard

avisent que vous n’allez pas tarder à les rejoindre à la salle 5. »

Ladite salle se trouvait au-dessus de celle où j’étais enchaîné. Je déchirai et mâchai le bout de papier et, après l’avoir roulé entre mes doigts, je le jetai dans le baquet placé près de moi.

J’étais heureux de savoir que des camarades étaient informés de mon arrivée et que sous peu j’irais les retrouver en leur salle. Je me sentais moins seul au milieu de celle cohue de malheureux qui, l’avouerai-je, m’inspiraient encore plus de répulsion que de pitié !

Il est dix heures et demie du matin, le brouhaha des chaînes annonce l’arrivée de la « fatigue » ; la théorie bariolée des forçats envahit la salle et les propos orduriers, brutaux, vont leur train quand, brusquement, un coup de sifflet domine le bruit et un sergent, qu’accompagnent deux ou trois gardes-chiourme, crie :

— Silence !… au rama !…

Les forçats se jettent sur le lit de camp, les chaînes sont lancées et prises autour de la barre creuse. La chiourme est ainsi rendue impuissante, à la merci de ses gardiens.

Aux regards qu’échangent les condamnés, je pressens que quelque chose de grave vase produire. Bientôt, sous la conduite d’un adjudant (officier de bagne), de nombreux gardes-chiourme entrent dans la salle. Ils sont suivis de deux forçats apportant un banc, et d’un troisième, dont la main droite disparaît sous sa casaque. J’entends mes voisins murmurer ce nom : « Guérino ! »

Derrière ce dernier condamné, se voit un forçat tout jeune, les poignets attachés, entre deux gardes. Le chef des adjudants, Latreille, que deux sous-ordres entourent, apparaît à son tour. C’est un drame qui se prépare et j’attends, anxieux.

On saisit le forçat aux poignets liés ; je le vois frissonner et pâlir ; on l’étend sur le banc ; une corde, que tient le premier aide, est passée autour de ses chevilles ; le second aide relève la chemise du patient par-dessus la tête, et, après avoir, à l’aide d’une seconde corde, attaché la tête au banc, la maintient immobile. Deux courroies sont ensuite passées autour du torse et les deux bras du patient entourent le banc, auquel ils sont attachés. Le condamné,