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des barricades au bagne

— Allons, citoyen Allemane, il faut avoir du courage ; vous êtes jeune et vous sortirez du bagne. Tenez, mon ami, voyez cette chaîne accrochée au mur ; eh bien, c’est la chaîne laissée par Mégy ; un jour vous redeviendrez libre comme lui…

Cet accueil inattendu, ces paroles réconfortantes m’émurent profondément, et de grosses larmes inondèrent mon visage pendant que le maître-forgeron, presque aussi ému que moi, faisait de son mieux pour m’encourager.

Je me ressaisis et, après l’avoir remercié pour ses amicales paroles, je sortis du bureau. Mon garde-chiourme m’attendait et, tous deux, moi traînant la jambe et tenant à la main l’extrémité de la chaîne dont la République bourgeoise venait de me gratifier, nous regagnâmes la salle d’où j’étais parti.

En route, nous avions croisé les Arabes qui, eux aussi, allaient achever leur toilette de forçats en se faisant enchaîner.

Un « service-intérieur » me vendit une « pattarasse », morceau de cuir que l’on place entre l’anneau de fer ou « manille » et la cheville ; puis une ceinture avec un crochet auquel on suspend un des maillons de la chaîne, dont le poids varie entre onze et douze livres.

Je dus me procurer une gamelle, une cuillère et un couteau semblables à ceux que l’on confie aux tout jeunes enfants.

L’Administration, une fois le forçat ferré, se croit quitte envers lui. Aussi, si le condamné est dénué, se trouve sans argent, il ne peut avoir ni pattarasse, ni ceinture, ni crochet, ni gamelle, ni cuillère, ni couteau, et il est doublement malheureux.

Je dois dire qu’aucun des camarades de la Commune ne se trouva dans une telle détresse, grâce à la solidarité qui, à part de très rares exceptions, régnait entre nous.

A peine étais-je rentré de la forge, que le « rondier » me mit au rama dans un coin de la salle ; toute la journée et la nuit qui suivit, je demeurai dans cette situation, si semblable à celle d’un chien à l’attache.

Au matin on me remit un petit billet ; il ne renfermait que ces mots : « Les amis vous serrent la main et vous