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mémoires d’un communard

de mon nom, auquel on substituait un numéro, me rendait indécis.

— Eh bien, quoi, vous êtes sourd ! dit un des gardes-chiourme en s’avançant vers moi.

— Non, mais…

— Il n’y a pas de mais ; au bagne, on ne connaît que le numéro. Vous êtes le 24.328, rien de plus. Et, maintenant, en route pour la forge !

Je suivis cette brute et, quelques instants après, je pénétrai dans la forge, où m’attendait l’épreuve la plus pénible parmi celles que, déjà, j’avais subies. Mon calvaire de honte n’en était encore qu’au commencement.

On me fit coucher à plat ventre, puis on me demanda à quelle jambe j’entendais être ferré ?

— Peu m’importe ! répondis-je, d’une voix étranglée.

— Ferrez-le à gauche, dit le maître-forgeron.

Un des aides me prit le pied gauche et le posa sur une planche percée d’un trou par lequel on fit passer mon pied. Cela fait, l’aide — un condamné de la Commune, nommé Gobin — m’essaya divers anneaux : il en trouva un qui convenait à ma cheville et en ferma la charnière après que la chaîne qui m’était dévolue y fut introduite. Je sentis le froid du fer et en éprouvai comme un malaise. On plaça ensuite ma jambe sur l’enclume, puis l’aide-forgeron se mit en mesure de river l’anneau de fer. Chaque coup de marteau m’allait au cœur, et la honte m’étouffait pendant que je songeais, les dents serrées :

— Oh ! les misérables, les lâches qui m’infligent une telle torture ! Pourquoi ces brigands ne m’ont-ils pas fusillé ?… Et moi, pourquoi ai-je vécu ?…

Et je revoyais la dernière barricade où, le fusil au poing, je m’étais juré de tomber. Mais la guillotine, pensai-je encore, n’est pas plus épouvantable que cet ignoble ferrement.

Le rivet aplati, l’un des aides-forgerons me saisit sous les bras et m’aida à me relever. La tête me tournait ; je titubais comme un homme ivre.

Le maître-forgeron me prit la main et me fit entrer dans un bureau minuscule. Là, il me serra les deux mains avec effusion, et me dit :