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mémoires d’un communard

camp, produisent un bruit formidable, et un des « rondiers », saisissant le dernier anneau de chaque chaîne, l’engage autour d’une tringle mobile fixée au bord du lit de camp.

Ainsi attachés, les forçats ne peuvent aller plus loin que le baquet à déjections le plus proche, c’est-à-dire à environ un mètre cinquante.

Le rama est formé par une suite de barres creuses s’emboîtant les unes dans les autres sur toute la longueur du lit de camp et fermées, à chaque extrémité, par un énorme cadenas.

Cette opération faite et les cadenas fermés, un coup de sifflet retentit, puis ce cri :

— Silence, partout !

Plus un bruit ne se fait entendre dans la vaste salle, car la transgression de la consigne entraîne avec elle les conséquences les plus terribles.

De chaque côté du lit de camp, un garde-chiourme veillait. Trois fois, durant la nuit, je vis changer les « rondiers », car, malgré ma lassitude, le sommeil s’obstinait à déserter mes paupières. Le jour, enfin, parut, et ce fut pour moi un véritable soulagement. Cette première nuit, passée au bagne, m’avait semblée longue comme un siècle.

Un coup de sifflet s’est fait entendre, et, les lourds cadenas ouverts, les chaînes sont devenues libres. Voici les forçats debout pour le défilé. Après avoir répondu à l’appel de leur numéro ils se découvrent et, un à un, ils viennent boire les vingt-trois centilitres de vin qui leur sont impartis. Ceci fait, ils vont se ranger pour partir à la « fatigue ».

Chaque garde-chiourme prend avec lui le nombre de condamnés que comporte sa feuille de travail et se dirige vers son chantier.

Nous avons dit que les forçais étaient accouplés ; il était cependant certains travaux qui nécessitaient le désaccouplement, mais c’était l’exception. L’accouplement (devenu une punition, existe encore) constitue, assurément, la plus terrible des tortures, surtout pour l’accouplé le plus faible, car il doit se plier à toutes les fantaisies du plus fort, ou, alors, c’est la lutte sourde, féroce, implacable.