Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/210

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
191
des barricades au bagne

Quant au forçat rabroué, c’était un ancien turco, condamné pour vol et assassinat. Pendant l’insurrection algérienne, il s’était montré féroce vis à vis de ses compatriotes.

La nuit approchait : sombres et silencieux, les vaincus d’Algérie et le vaincu de la Commune, assis côte à côte, pensaient à ceux qu’ils aimaient, à l’effondrement de leur existence, à l’anéantissement de leur rêve de liberté.

Tout à coup, un bruit assourdissant, quelque chose comme l’approche — mais, cette fois, réelle — de ces fantastiques théories de damnés qui, la nuit, viennent, en d’épouvantables cauchemars, se rappeler au souvenir des vivants, et dont prêtres et moines se plaisent — pour le plus grand profit de l’Eglise — à horrifier les cerveaux rudimentaires de leurs ouailles.

C’était la « fatigue » qui rentrait.

Trois cents forçats, accouplés deux à deux, firent irruption dans la salle. Tous ces visages, à l’aspect effrayant, se tournèrent vers nous.

— Tiens, des Arbis ! s’écrièrent-ils en apercevant mes compagnons de bagne : puis, me remarquant, ils s’adressèrent aux « services-intérieur » :

— Et celui-là, est-ce un zigue ?

— Non, dirent ces derniers, c’en est encore un de la « Commode ».

Ils me dévisagèrent et se mirent à causer par petits groupes, à voix très basse, en attendant la « gourgane ». Bientôt de petits seaux en bois sont apportés, et chaque « plat » ou groupe de dix hommes se saisit d’un de ces seaux et se le partage. J’assiste à un premier repas entre galériens.

On a placé devant nous un seau semblable, mais ni les Arabes ni moi nous n’y touchons, et, au bout d’un instant, nos voisins les plus proches s’en emparent.

Un moment après apparaît un sergent des chiourmes ; il tient à la main une énorme crécelle, qu’il fait tourner en criant ;

— A coucher !

Les forçats montent sur le lit de camp ; la crécelle tourne encore, puis le garde se met à hurler :

— Au rama !

Trois cents chaînes, lancées avec force sur le lit de