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mémoires d’un communard

Non encore familiarisé avec cette substitution d’un numéro à mon nom, je ne réponds pas à cet appel.

— Eh ben, quoi, la « feuille de chou » (cela se rapportait à la couleur de mon bonnet), tu ne veux donc pas te faire bichonner ?

C’était un condamné qui, une paire de ciseaux à la main, m’interpellait ainsi. Un garde se tenait près de lui.

Je dus m’asseoir sur un escabeau, et le perruquier titulaire du bagne se mit en devoir de me couper les cheveux, selon que le règlement le prescrivait, c’est-à-dire en « escargot ». Après que les ciseaux ont coupé les cheveux à une certaine longueur, ils dessinent une espèce de sillon en labyrinthe autour de la tête du condamné. Un second forçat vint ensuite me raser.

— Dés qu’on t’aura mis tes « bijoux », ce qui ne va pas tarder, dit le perruquier, tu seras un « fagzir » complet.

Et garde-chiourme et forçats s’en furent en riant.

Mais voici le chef Latreille et, derrière lui, une douzaine d’Arabes qu’accompagnent quelques gardes. Ces nouveaux venus paraissent effarés. On leur commande de se déshabiller et d’entrer dans le cuvier. L’eau, déjà peu propre avant mon arrivée, se transforme vite en bourbier, car ces malheureux, à peine descendus du navire qui les avait amenés d’Algérie, étaient couverts de crasse.

Plus ou moins décrassés, les Arabes venaient de revêtir les effets réglementaires lorsque, appelé, sans doute, par Latreille, un autre Arabe, déjà familiarisé avec le bagne, vint servir de truchement au garde chargé des signalements. Cette formalité terminée, le forçat interprète voulut donner le salut au plus jeune des prisonniers — le fils d’un cheick — mais celui-ci l’invectiva et le repoussa avec mépris. L’Arabe s’en fut, baissant la tête.

C’était là une scène peu banale, étant donné le lieu où elle se passait. J’appris que les arrivants étaient, comme moi, des vaincus, et qu’ils étaient traités de la même façon : les conseils de guerre algériens avaient rivalisé de zèle avec ceux de Versailles, afin que de meurât sauf l’honneur de l’armée.