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des barricades au bagne

je vis deux forçats accouplés et sciant de long. Les guenilles bariolées qui les couvraient, leurs cheveux coupés d’une façon particulière, leurs visages émaciés leur donnaient un aspect repoussant. Ils jetèrent un regard de mon côté, et il me sembla lire dans leurs yeux comme un sentiment de satisfaction.

L’horreur me suffoquait, et je dus faire appel à toute mon énergie pour continuer, sans défaillance, ma marche vers le lieu maudit où des gouvernants, aussi lâches que scélérats, avaient décidé de m’enfermer.

Me voici dans ma nouvelle demeure. Le chef des adjudants, le sieur Latreille, vient prendre possession de ma personne et appose sa griffe sur la feuille que lui tend le chef de convoi. On me lit ensuite l’extrait du jugement du conseil de guerre me condamnant aux travaux forcés à perpétuité, puis on me dit de me déshabiller. Ceci fait, le chef de convoi et son adjoint parlent avec les effets que je viens de quitter.

Près de moi se trouve un cuvier ; on m’y fait entrer, sous prétexte de me laver : j’ai de l’eau jusqu’aux chevilles. Cela s’appelle faire sa toilette.

Un garde-chiourme et un condamné, qui lui sert d’écrivain, attendent que je sorte de cette ridicule baignoire. Le premier, armé d’une latte, examine mon individu en tous sens et dicte mon signalement au second. Cela terminé, il m’inscrit sous le matricule 24.328.

J’étais définitivement incorporé dans l’armée de l’infamie.

On me remet la livrée du bagne, se composant d’un pantalon à peu près jaune, fendu aux jambes, d’une chemise de grosse toile grise à larges manches, d’une casaque rouge et d’un bonnet vert, sur lequel e dois coudre une plaque portant mon numéro matricule.

Qui le croirait ? À cette douloureuse minute, je me pris à regretter le non moins burlesque costume endossé au départ de la Roquette. Peut-être se mêlait-il à ces regrets comme un sourd écho de la grande cité, de ce Paris que j’avais tant aimé. Je demeurai pensif, maudissant la vie, qui me valait de telles amertumes. Autour de moi vaquaient quelques forçats, durant que deux gardes-chiourme les surveillaient. Tout à coup, j’entends qu’on appelle le 24.328.