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des barricades au bagne

les gardes nationaux, mais par une partie des soidats qu’il commandait, et cela pendant qu’un peloton de gardes nationaux, commandé par le lieutenant Lagrange, fusillait le général Glément-Thomas,

— Jean Allemane, au greffe ! glapit une voix, et un gardien se présenta devant moi. Il m’invita à le suivre et, tous deux, nous arrivâmes devant les bureaux de la prison. Introduit auprès du directeur, celui-ci me fit connaître que j’allais partir dans quelques instants et que je devais subir une toilette spéciale.

À ce moment parut le chef de convoi, qui prit possession de ma personne.

On me dit de revêtir trois espèces de sacs : un pour les jambes, un pour le buste et les bras, et le troisième, enfin, pour se couvrir la tête. J’eus comme un avant-goût du bagne.

Ceci fait, le chef de convoi me mit les menottes, et nous quittâmes la Grande Roquette pour nous rendre, en voiture cellulaire, à la gare de Lyon.

Parvenu à la gare, je montai dans un wagon spécial, où une case m’était réservée. Les parois étaient recouvertes d’une tôle épaisse. Je dus m’asseoir, et on m’emprisonna les jambes dans des entraves. J’étais, ainsi attaché, condamné à l’immobilité. La porte de ma case une fois fermée, je me crus dans un tombeau.

Je m’abîmai dans de sombres réflexions, songeant au chagrin que devaient éprouver les miens, aux épreuves subies et à celles qui m’attendaient, à mon écrasement irrémédiable.

Les mille bruits de la ville, en activité, parvenaient jusqu’à moi et, insensiblement, une sourde colère s’emparait de mon être :

« Triste humanité, aussi rampante devant les puissants qu’implacable au regard des faibles !… Et c’est pour cette cohue que tant de sang généreux a coulé, que tant de larmes ont été versées ; que je suis emmuré, enterré vivant, pour avoir, avec tant de nobles victimes, rêvé de l’affranchir… »

Et mon cœur se serra.

Un long temps s’écoule ; tout à coup, des voix féminines se font entendre, et je comprends que des femmes montent dans le wagon. Au tapage, je les suppose assez