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mémoires d’un communard

colonel Gaillard, nous confièrent, mon frère, M. Gomot et moi, au capitaine d’infanterie de marine M. de Beaumont, désigné comme capitaine-rapporteur.

Ma première entrevue avec cet officier fut loin d’être cordiale. Prévenu contre les hommes de la Commune, il crut devoir se montrer discourtois. Je lui répondis du tac au tac, et l’interrogatoire prit bientôt l’aspect d’une dispute. Cela s’annonçait fort mal et, comme ce que l’on est convenu d’appeler une « instruction », avait lieu sous une tente dressée dans le jardin de l’Orangerie, un certain nombre d’auditeurs, soldats ou visiteurs, étaient aux écoutes ; le capitaine, peu flatté, donna l’ordre de les faire s’éloigner.

Mon second interrogatoire fut tout différent du premier. Avec une politesse qui me surprit, le capitaine rapporteur me demanda quelques renseignements sur M. Gomot, arrêté en même temps que mon frère et moi, sous prétexte qu’il nous avait cédé une partie de son logis. Je lui fournis les explications désirables et le priai de faire une enquête qui, j’en étais convaincu, amènerait l’élargissement d’un homme qui, de près ou de loin, n’avait pris aucune part au mouvement insurrectionnel.

Il me promit qu’il en serait fait ainsi que je le désirais, et il tint parole. Quelques jours après, M. Gomot, après une courte comparution devant le capitaine-rapporteur, était mis en liberté. Mon frère et moi en éprouvâmes un véritable soulagement.

Il convient d’ajouter qu’à partir de ce moment M. de Beaumont fit preuve d’une correction impeccable. Dès mon entrée sous la tente, il priait les deux sous-officiers de gendarmerie qui lui servaient de secrétaires d’en sortir, et mes interrogatoires devenaient de longues dissertations politico-économiques. Encore quelques entrevues de ce genre, et l’insurgé convainquait le capitaine de la légitimité de l’insurrection, du bien-fondé des revendications socialistes.

Mais la justice civile avait à connaître de mes faits et gestes administratifs (de mon usurpation de fonctions) et me réclama à sa sœur la justice militaire. Je quittai l’Orangerie pour Mazas et ne revis plus M. de Beaumont, dont le rapport concluait à rejeter tous les faits pouvant