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des barricades au bagne

Puis, sans se préoccuper ni du commandant ni de l’état affreux de mes vêtements, elle se jeta dans mes bras. Malgré les efforts qu’elle faisait pour me sourire, sur son beau visage perlaient de grosses larmes qui me révélaient les souffrances de son cœur, les sinistres appréhensions qui envahissaient son esprit.

— Madame ! grommela Séré de Lanauze, il est temps que vous vous retiriez et que le prisonnier réintègre la Fosse-aux-Lions…

Nous nous embrassâmes une dernière fois et, muets, nous échangeâmes un regard où chacun de nous mit toute son âme.

Au moment où j’allais franchir la barrière, je me retournai et fis un geste d’adieu à celle que, peut-être, je ne reverrais plus.

— Courage, ami ! me cria-t-elle, et je m’enfonçai dans l’antre obscur où nos vainqueurs m’avaient plongé.

Malgré le long temps écoulé, les mille événements qui m’en séparent, je revis la scène émouvante ; je revois, comme si cela se passait à la minute même, le groupe rageur des geôliers et ma déterminée compagne, superbe de jeunesse et de beauté, écrasant de son calme mépris les reîtres qui nous entouraient, vengeant ma fierté de vaincu et m’apportant, en d’aussi pénibles circonstances, le plus noble des témoignages et le plus précieux des encouragements.

Si mes compagnons de souffrance éprouvaient quelque satisfaction de l’attitude fière de mon aimée Marie, il n’en était pas de même de nos geôliers. Chef et soldats constataient que si le sang prolétarien avait été répandu à flots, il était encore des natures d’élite dont l’écrasante défaite n’avait en rien amoindri les hauts sentiments. L’amour qu’elle témoignait à l’un de ceux qu’ils désiraient voir honnis, abandonnés même de leurs proches, les exaspérait, et ils ne se pouvaient méprendre non plus sur l’opinion peu favorable qu’emporterait cette jeune femme d’une telle visite, où la cruelle et lâche férocité des vainqueurs de Paris se montrait à nu.

Aussi, cette visite fut-elle unique : le sieur Séré de Lanauze dut s’appliquer à faire le nécessaire pour cela.

Les guerriers qui, à l’époque, présidaient à la distribution de la justice militaire : le général Appert et le