Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/173

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
154
mémoires d’un communard

Arrivé près de nous, il m’ordonna brutalement de me lever et de le suivre. Mon frère m’aida à me mettre debout et nous nous acheminâmes tant bien que mal vers la Rotonde où se tenait le commandant. En route, La Trique nous demanda si nous avions des recommandations.

Cette brute s’essayait à l’ironie : il songeait à la recommandation du garde Bordère qui, en digne soldat de l’Ordre, payait les services rendus par une insigne lâcheté.

Nous voici devant le commandant Séré de Lanauze, ex-héros des contre-guérillas mexicaines, qui servit sous La Tour du Pin et Galliffet.

— Lequel de vous deux était délégué de la Commune, à la mairie du Panthéon ?

— Moi, lui dis-je.

— Ah ! ah ! vous êtes malade, paraît-il ; eh bien, je vais vous soigner !

Puis, se tournant vers le brigadier La Trique :

— Conduisez ce bandit à la Fosse-aux-Lions.

— Pardon ! dit mon frère, je désire partager le même sort.

— Vous ne savez guère où j’envoie votre frère.

— Peu importe ; je demande à m’en pas être séparé !

— Eh bien, brigadier, logez-le avec son frère, puisqu’il y tient.

Ricanant, plein de haine, La Trique nous fît traverser la partie du jardin comprise entre la Rotonde et le grand escalier de gauche, sous lequel se trouvait la Fosse-aux-Lions, dont le seul nom était une épouvante parmi les prisonniers de l’Orangerie.

Durant le trajet, La Trique me roulait des yeux féroces. A un moment, il me dit :

— Qu’as-tu fait de ceux des nôtres qui ont disparu du Cinquième arrondissement ?

— Je les ai mangés ! lui répondis-je.

La bête militaire en demeura interloquée.

Nous voici sous une voûte qui va en s’abaissant ; à l’entrée se trouve un poste de gendarmes. La Trique nous désigne au chef. Nos quelques hardes sont à terre : il y a là le peu de linge de rechange que notre pauvre mère a pu nous faire parvenir. La Trique les inspecte.