mais l’endurance de notre espèce est vraiment extraordinaire. Les geôliers, les chaouchs, les gardes-chiourme et autres bourreaux civils ou militaires en pourraient témoigner.
Une seule catégorie de prisonniers — dits les « Intéressants » — détenus dans une salle spéciale, pouvaient recevoir des visites et quelques vivres ou douceurs ; quant au reste, ils étaient traités comme de vulgaires brigands qu’on viendrait de capturer.
Cependant, quelque sévère que fût la consigne, elle s’amendait dès qu’il s’agissait de prêtres ou de soudards. Des mouchards, ou « moutons », venaient parfois promener leurs regards inquisiteurs au sein de cette foule grouillante, en se donnant des allures révolutionnaires.
Parfois, en la compagnie du commandant et de ses lieutenants, se montraient, sur la « Rotonde », des dames du meilleur monde qui venaient se repaître de nos misères, contempler, à distance, ces « farouches communards ».
Parmi ces visiteurs privilégiés, il nous fut donné de voir le curé de l’église Sainte-Marguerite — de « Margot », disait-on dans le faubourg. Ce curé s’appelait Kinclauss, et possédait une réputation de paillard bien établie, ce qui ne l’empêchait pas d’être très populaire parmi les naïfs, et ils étaient nombreux. Or, ledit Kinclauss nourrissait une certaine haine contre ceux qui tentaient de lui arracher son masque de fausse bonhomie, et, comme la plupart de ceux-là avaient combattu dans les rangs de la Commune, il tenait à connaître ceux que la mort avait épargnés.
Souriant, les poches de sa soutane remplies de petits paquets de tabac, il allait à travers les salles de l’Orangerie, tapant familièrement sur l’épaule des prisonniers qu’il reconnaissait et, après quelques mots d’encouragement, la distribution de quelque menue monnaie ou de tabac, s’informait de celui-là de celui-ci. C’est ainsi que je l’entendis demander à un brave garçon, dont il avait « préparé » et béni le mariage, des nouvelles du « brave citoyen Genton », qu’il estimait très fort.
— Voilà un curé dont on ne saurait dire de mal !
