Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/169

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
150
mémoires d’un communard

Arrêté sous le nom de Roger et croyant m’apercevoir que les gens qui nous gardaient paraissaient porter peu d’attention à mes mouvements, je parvins à gagner une place près de la porte de sortie ; puis, simulant un malaise, je demandai à pouvoir respirer un peu d’air pur. On daigna y consentir, mais on plaça près de moi deux sergents de ville, armés de leur chassepot. Ma manœuvre, devenue inutile, je crus, au bout de quelques instants, devoir prier mes gardiens de me réintégrer au poste, me disant, a parte, que, malgré mon pseudonyme et les apparences, on tenait à ce que je ne prisse pas la clef des champs, d’autant que mon frère, dénoncé et arrêté sous son vrai nom, avait dû éveiller des soupçons sur mon individualité.

Le lendemain, M. Gomot, mon frère et moi comparaissions, à tour de rôle, devant un commissaire et des agents de la police politique. Dès mon entrée, je reconnus un agent de la brigade Lagrange, dit la Tête-d’Argent. Il tressauta en m’apercevant.

— Comment vous appelez-vous ? me demanda le commissaire de police.

— Jean Allemane ! répondis-je.

— Ah ! ah ! vous n’êtes pas le cousin, mais le frère de François Allemane…

— Pourquoi avez-vous cherché à tromper la justice ? dit un des policiers.

— La justice ! Ah, elle est propre, votre justice !

— Enlevez-le ! dit le commissaire.

Comme s’ils n’attendaient que cet ordre pour se précipiter sur moi, les policiers me saisissent, me tordent les membres, me font descendre brutalement au rez-de-chaussée et me jettent, ainsi qu’un paquet, dans un cachot où déjà se trouvait un ivrogne ignominieux, que le choc projeta contre le mur. Cet individu se releva en jurant et revint sur moi ; je dus m’en débarrasser en le frappant assez violemment, car il s’acharnait après moi.

Ce fut ainsi que s’écoulèrent la journée et la nuit qui suivit.

Dans le couloir, les sergents de ville et leur chef se plaisaient à m’injurier, à faire de l’esprit sur le dos des communards et de la République. C’est ainsi que le