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des barricades au bagne

le plaçai à portée de ma main ; puis, je barricadai solidement ma porte et attendis l’attaque.

Les soldats arrivèrent sur le palier ; les crosses de fusils frappèrent fortement le sol, pendant qu’une voix rude s’élevait :

— Vous dites, madame la concierge, que cet individu habite au quatrième ?…

— Oui, monsieur le sergent, répondit la concierge.

Et j’entendis la troupe gravir les marches qui menaient à l’étage au-dessus de celui où je me trouvais.

Ce n’était donc pas moi qu’on recherchait.

Le bruit d’une discussion assez vive parvient jusqu’à moi ; une voix de femme, à l’accent alsacien, semble dominer, et je perçois ces phrases très distinctement :

— Je vous dis que mon fils n’a pas servi la Commune ; du reste, il a quitté Paris, et nous ignorons où il est actuellement.

— Nous le trouverons, nous !… dit le sergent, d’un ton menaçant.

Et les soldats redescendent l’étage en maugréant. Les voici au troisième, devant la porte de l’appartement dont j’occupe une partie. J’entends la même voix demander :

— Et là-dedans ?

— Là, monsieur le sergent, il n’y a qu’une femme veuve et ses enfants.

— C’est bien ; descendons !

L’attente d’un combat inégal, où, fatalement, je devais succomber ; ces minutes suprêmes, durant lesquelles ma vie était comme suspendue à un fil, venant s’ajouter à tant d’émotions diverses, brisèrent mon énergie. J’éprouvais une lassitude étrange, et ma faiblesse était si grande que je dus m’étendre sur le lit.

La nuit vint et, avec elle, le retour de mes forces physiques. Cela me permit d’envisager ma situation, si délicate et si angoissante. L’épreuve subie avait été épouvantable ; en me défendant, je compromettais l’existence de ceux qui me donnaient asile et, si je voulais leur éviter de telles conséquences, je devais m’offrir aux coups de mes ennemis. Cette alternative était insupportable, et je résolus de quitter ma retraite.