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des barricades au bagne

— Allons, hors des rangs, et file chez tes parents au plus vite.

L’enfant, tout étourdi d’être arraché à la mort, demeura un instant comme indécis, puis il prit la rue du Fouarre et entra au n° 7 de cette même rue.

Je m’y acheminai à mon tour, non sans avoir jeté un regard de commisération sur les prisonniers qui, moins heureux, allaient être fusillés. Le bruit d’un feu de peloton m’avisa que ce nouveau crime était consommé.

Je rejoignis l’enfant avant qu’il ne gagnât l’escalier : il pleurait à chaudes larmes.

— Ah ! citoyen Allemane, vous avez entendu la fusillade ? Quelle chose horrible !… Sans le brave homme qui s’est interposé, je serais mort maintenant… Je vous ai bien reconnu, allez ; mais j’ai évité de vous faire le moindre signe, tant je craignais de provoquer votre arrestation…

Et l’enfant, un peu calmé, continua :

« Je savais bien que l’on allait nous fusiller ; les soldats nous le disaient depuis la rue Galande… Lorsque je vous ai aperçu, j’ai pensé : le citoyen Allemane ira dire à ma mère et à mes sœurs comment on m’aura tué… »

Ainsi parla ce jeune héros, ce simple enfant du peuple que la mort venait de frôler de sa main glaciale. Depuis, les privations en firent un tuberculeux, et Georges Arnaud — ainsi s’appelait l’enfant — mourut à vingt-quatre ans.

Je montai chez ses parents, tout en lui conseillant de taire l’incident, car cela eût affolé sa mère. Le jeune Georges fut de cet avis, et c’est le visage souriant qu’en entrant il dit à sa maman :

— Mère, comme les rues sont peu sûres, j’ai dit au citoyen Allemane de venir chez nous.

— Tu as bien fait, mon enfant, répondit Mme Arnaud, en me tendant la main.

Puis elle ajouta, avec cette simplicité qui, en de tels jours de délation et de tuerie, confinait à l’héroïsme :

— Monsieur Allemane, vous êtes ici chez vous !

— Je vous remercie, Madame, mais ma seule présence constitue un grand danger pour vous et vos enfants ; je vais donc me retirer…