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des barricades au bagne

faire ? Dans quelques heures on fouillera cette caserne, déjà suspecte, on m’arrêtera ; je serai traîné à travers l’arrondissement ; on me crachera au visage, on hurlera : « A mort, l’assassin ! », on m’accusera de tous les crimes ; peut-être même ceux pour lesquels j’ai le plus lutté, fait pleurer ma mère, se rueront contre moi les premiers…

Je passe l’inspection de mes poches : un couteau, soixante centimes, de nombreux papiers, parmi lesquels des ordres de Rossel, de Delescluze, et, chance inespérée, ma commission d’employé à l’Officiel.

À ce moment éclate à nouveau la canonnade. Je quitte ma couchette et vais à Bestetti, qui, éveillé par le bruit de la bataille qui recommence, s’était également levé. Je lui dis que je vais essayer de gagner le Onzième.

— Dans l’état de fatigue où tu te trouves, de quel secours peux-tu être…

— Peu importe ! je refuse de mourir ignominieusement ; j’entends succomber un fusil au poing, et laisse-moi te dire que je regrette de n’être pas resté à la barricade…

— Allons, allons, mon ami, tu as fait le possible, voire même l’impossible ; tu n’as rien à regretter et il s’agit maintenant, car le quartier est sûrement cerné, d’échapper à nos ennemis. Viens avec moi.

Je suivis Bestetti ; dans la cour, nous trouvâmes une sentinelle qui fit mine de nous empêcher de sortir, mais, devant mon insistance, elle haussa les épaules et murmura :

— Après tout, si vous tenez à vous faire tuer, c’est votre affaire !

La rue était déserte ; en sa qualité de préposé aux cantines municipales, mon ami me fit entrer dans l’école municipale située en face de la caserne et essaya une seconde fois de me convaincre ; mais ma résolution était prise : je détruisis les papiers compromettants et, après lui avoir serré la main, je m’éloignai dans la direction du boulevard Saint-Germain.

— Bonne chance ! me cria Bestetti.

— Merci, et puisses-tu survivre à un tel désastre !

Il haussa les épaules et, après un dernier geste