Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/155

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
136
mémoires d’un communard

s’étaient donnés corps et âme au mouvement insurrectionnel.

Parmi les citoyennes venues à la barricade se trouvaient la compagne et la fille de mon vieil ami Bestetti ; elles me firent monter à leur logement, où je pus réparer le désordre de ma toilette ; ce fut seulement alors que le désastre m’apparut dans toute son horrible réalité :

— Vaincus par ces brigands ! m’écriai-je ; comme les malheureux gardes nationaux qui ont refusé de combattre vont s’en repentir… Ah ! l’affreux carnage qui va suivre !… Pourquoi ai-je cédé, me suis-je laissé désarmer, arracher au combat ?…

Puis je songeai aux miens, à mon frère, gisant en quelque coin de barricade, et je me mis à pleurer.

N’ayant pris, depuis de longues heures, d’autre nourriture que du bouillon, ma faiblesse augmentait à mesure que se calmait la fièvre qui, durant cette lutte de trois jours, m’avait soutenu ; mais, malgré qu’on m’y invitât, je ne pus rien manger, et, me levant, je voulus partir. La citoyenne Bestetti et sa fille tentèrent de me retenir.

Bestetti, arrivé depuis quelques instants, intervint et dit qu’en effet il était préférable de quitter son domicile, où les Versaillais ne manqueraient pas de venir et de nous arrêter tous les deux.

Nous descendîmes et, me laissant docilement conduire par lui, nous pénétrâmes dans la caserne des pompiers de la rue de Poissy.

Il est exactement dix heures du soir lorsque nous entrons dans le vieux réfectoire des moines bernardins, transformé en caserne. Des centaines de femmes et d’enfants sont là, couchés pêle-mêle. On n’entend que pleurs et cris déchirants.

Oh ! l’épouvantable nuit, et combien je regrette de me trouver en un lieu aussi désolé ; j’ai le cœur meurtri par le spectacle de tant de douleurs insondables : il n’est pas un seul des êtres que je vois devant moi qui ne pleure un absent ou un mort.

On m’indique une paillasse et je me jette dessus ; mais j’attends en vain le sommeil : toujours le bruit des gémissements et des sanglots me tient éveillé. Que vais-je