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des barricades au bagne

et, qu’en attendant qu’il revienne de chez le maréchalferrant — ce qui ne demandera que très peu de temps — nous entrions au café situé en face de son débit, et tenu par la veuve Combes.

Un instant après, Guillaumot venait nous retrouver.

Notre consommation étant prise, je me levai et me dirigeai vers le comptoir pour la régler. Mon frère se tenait à quelques pas ; quant à Guillaumot et au maréchal-des-logis, ils avaient gagné la rue.

À cette minute même, un individu, qui se trouvait dans l’établissement lors de notre entrée, s’approchait de mon frère et, le saisissant brusquement au cou, tentait de l’étrangler.

La patronne, une jeune femme qui se tenait près d’elle, d’autres individus qui consommaient et pour lesquels aucun des mouvements de l’assassin ne pouvait demeurer inaperçu, ne témoignèrent ni surprise, ni émotion. Avec une lenteur calculée, la patronne me rendait la monnaie, pendant que le crime se perpétrait sous ses yeux, à deux pas de moi !

Cependant, je perçus comme un râle et un piétinement ; je me retournai. Mon frère, le sang au visage, les yeux injectés, le col et la cravate arrachés, muet et farouche, dégainait, pendant que le bandit, qui avait manqué son coup, s’enfuyait du côté de l’office.

— Qu’y a-t-il ? m’écriai-je, un peu abasourdi par ce que je voyais.

— On a voulu m’étrangler, me répondit mon frère, auquel la voix était revenue.

— Misérables gredins ! vous aller payer cher cette canaillerie, et, le revolver au poing, je m’élançai dans la direction où j’avais vu disparaître l’agresseur.

Tremblant et ahuri, le garçon, qui se trouvait dans l’office, m’indiqua la porte donnant dans une rue transversale, et par où le bandit s’était, disait-il, échappé.

Tout à coup mon frère me crie :

— Attends-moi !

Et il courut à la caserne Mouffetard, où son bataillon se trouvait.

Je revins devant le comptoir ; la patronne et la jeune femme, d’une pâleur cadavérique, me regardaient, effarées, de même les consommateurs — tous complices