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SUR TALONS ROUGES

de frelons et de taons ! Et ça bourdonne sans arrêt, et la calèche a beau avancer, ça bourdonne toujours. Il y a une odeur mêlée de foin coupé et de vaches, comme l’évocation d’une idylle allemande. Ça sent bon la campagne, mais les insectes bourdonnent avec trop d’obstination. Et pour le pauvre artiste, ce sont des crescendi, des diminuendi agaçants, des rallentandi, des accelerandi exaspérants. Ces bourdonnements dégénèrent en ronflements, mugissements, murmures ou plaintes et toute cette symphonie d’insectes prend dans son esprit des proportions énormes et des tonalités parfois tonitruantes. Quel bruit ! Quel vacarme ! Il aurait presque peur, mais il n’ose pas l’avouer au Chevalier qui le raillerait sans contredit.

Oh ! ces insectes qui grondent dans ses oreilles ! C’est à devenir fou, fou furieux. Et ça susurre, ça rit, ça chante, ça crie, ça gronde. Voilà qui est trop. Et que disent-ils tous ensemble, avec tant d’insistance, dans leurs modalités burlesques et sataniques ? On dirait qu’il y a une ritournelle qui revient toujours comme une obsession d’esprits malins.

« On ne sait pas, c’est bizarre, où l’âme va se nicher. L’âme est partout et nulle part. C’est bizarre. Mais plus bizarres encore sont les lubies de l’âme que rien ne peut dompter. Jamais elle ne réside à la même place. L’âme est folle comme le vent. Chez les penseurs, elle trône dans le cerveau, chez les amoureux, elle envahit le cœur, chez l’ouvrier, elle s’agite dans les bras, chez le laquais, elle agit dans les jambes,