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SUR TALONS ROUGES

de pleureuses. Au loin, languissait une sérénade. Sur les charmes étreints de lierre, un rossignol trillait et sanglotait son pauvre amour ; il s’exaltait sur ses longues notes aiguës, s’extasiait en vocalises, et tout ce chant passionné et perçant dominait le chant de la nature ; on aurait dit de la dentelle qui courait tout le long d’un long velours sombre, couleur nuit vénitienne ; et ces notes brèves, lancées et piquées, c’étaient des étoiles auditives qui rejoignaient dans le ciel leurs autres sœurs.

Et toute cette vaste plaine de la Vénétie, tel un jardin éperdument vaste, se laissait caresser à l’horizon lointain par les collines harmonieusement vertes qui s’élèvent en d’autres collines encore, vers les neiges impeccables, impassibles… Et là-bas, plus là-bas, derrière cette blanche éternité, se dressent les créneaux fantastiques des ruines gigantesques du siècle des Titans : les Dolomites légendaires, suspendues dans l’azur. Et puis, de l’autre côté, à l’Est, vers l’Orient mystique, Venise ! Venise la Sérénissime, le flambeau des grandes civilisations, le miroir des splendeurs asiatiques… et la mer… rien que la mer… à l’infini.

Mattacchione, épris de tant de beauté, de tant de grandeur, se laissa gagner d’émotion. Puis il se souvint de sa patrie lointaine, et un violent désir de tout posséder, cette plaine épanouie, cette mer, ces montagnes, lui tordit les nerfs ; il voulait tout cela pour Florence fleurie de lys, pour lui, pour assouvir son désir de possession.