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SUR TALONS ROUGES

— Ami, fit Lisiade, venez ! Ma femme nous rejoindra dans le parc, tout à l’heure. Nous nous promènerons en l’attendant, sous les treilles de roses. Vous pourrez voir, de la terrasse, le profil des Dolomites tourmentées, la plaine riante de la Vénétie, les jardins de Trévise et notre Adriatique que scrute, dans le lointain, la Sérénissime.

Mattacchione se sentait d’humeur joyeuse et moqueuse.

— Elle est charmante, votre épouse ! Plus on la voit, plus on l’aime.

Un éclair passionné traversa les yeux de Lisiade.

— C’est ce que je lui dis chaque matin, au réveil ; c’est ce que je lui répète encore le soir. Je l’aime. C’est si doux de pouvoir avouer un amour ! Elle est l’épouse parfaite ; en outre, elle m’a donné un fils ; le nom est assuré à la postérité. Je suis sûr qu’elle m’adore comme elle m’en assure par ses accents de femme éprise, mais…

Lisiade s’arrêta ; un soupir de chagrin sembla l’accabler.

— Mais, parfois, je tremble…

— Qu’avez-vous donc ? fit son hôte, fouetté de curiosité.

— Je tremble, parce qu’il est une fatalité qui ne dépend ni de moi, ni d’elle, une fatalité qui l’accable et qui me remplit de désespoir.

Une musique claire et joyeuse résonna derrière les bosquets.

— Elle vient !