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SUR TALONS ROUGES

la portière pour permettre à un très noble seigneur de descendre.

— Où sommes-nous ici ?

Et le très noble seigneur se dandine arrogamment, en scrutant le ciel et la terre. De ses gestes emphatiques, tout tintant de breloques, monte une odeur de musc mêlée de mélilot.

— Où sommes-nous ici ? répète-t-il avec impatience ?

L’homme à la grande cape nonchalamment s’avance. Il se découvre avec indolence et salue avec ennui.

— À Fusina, mon Prince.

— À Fusina ? Ce nom ne me dit rien. Où peut-on héberger et remiser cette nuit ?

L’homme à la grande cape salue encore.

— Il faudrait que Votre Seigneurie retournât sur ses pas. Si elle désire reposer, qu’elle aille à Malcontenta, Dolo, Noventa ou même à Padoue. Ici, il n’y a que la lande déserte et la mer.

Dans le lointain, sur l’infini des eaux, une grande lumière bondit en éclairs ; elle semble illuminer une ville de feu en cet instant surgie des ondes. Les reflets vacillants donnent des formes hésitantes à toutes ces tours élancées et ces coupoles de cuivre, et de la mer arrivent, aux caprices de la brise, des sonorités d’allégresse, de musique et de rire.

— Qu’y a-t-il là-bas ?

— C’est Venise, la première nuit de carnaval ! Il est venu bien tard, cette année, Carnaval ! Pour Carême, il y aura des roses.