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LE SALUT DU MAL

— N’ayez pas peur, c’est moi, Juana… Regardez.

Elle alluma une chandelle, se déshabilla et lui montra son corps tout meurtri de contusions, balafré de coups de cravache, et pantelant de sang… tout ce beau corps qui souffrait cruellement.

— Mais, c’est affreux, glapit la duègne.

— Avant de quitter Madrid, je me suis rendue chez le Père Diego. Il ne m’a pas donné l’absolution, et voici ce qu’il m’a fait, dans l’espoir d’attirer sur moi la pitié divine.

— Pauvre chérie, pleurnicha Doña Rosario. Quelle brute, votre confesseur ! Pourquoi n’allez-vous pas chez le mien, l’abbé Alonzo. Il est élégant, parfumé, il a de belles manières. Il parle si bien, sa voix est douce comme la musique des séraphins. Il n’est pas brutal. Ses mains sont soignées et petites, et lorsqu’il vous caresse, on croirait à des attouchements célestes, on croirait voir s’ouvrir les portes du Paradis. C’est tout bonnement exquis.

Juana lui lança un regard foudroyant. Il renfermait toute l’angoissante énigme de son cœur. Doña Rosario ne put le soutenir et en fut terrorisée.

— Quel malheur, soupira-t-elle pour se donner une contenance.

Il y eut un silence pendant lequel elles prièrent. C’était un contraste frappant que ces deux femmes, égrenant leur chapelet, tandis qu’au loin, sonnaient matines ; l’une était toute transportée de ferveur, l’autre confondue en bigotterie.