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SUR TALONS ROUGES

— Rien… Une pensée un peu macabre… Mais vous pouvez la chasser de mon esprit. Voulez-vous compter mes têtes de morts.

Doña Rosario fonça sur un petit meuble adossé au mur, un meuble à double usage servant à la fois d’autel et de table à toilette. Y gisaient pêle-mêle des images saintes, un miroir, une boîte à poudre, une boîte à fard, un chapelet, un ostensoir, des peignes, des bracelets, des rubans, des missels, des dentelles, des croix et surtout des têtes de morts, de toutes petites têtes de morts en ivoire. Et Doña Rosario, à voix basse, les compta méthodiquement, une à une. Cela dura longtemps, et Doña Juana soupira à loisir, goûta les heures lourdes du jour, rêva et caressa ses seins que l’oisiveté irritait.

Soudain d’une voix claironnante de triomphe, la duègne s’écria :

— Mille ! Juste mille ! Comme c’est bien ! Mille ! Ni plus, ni moins ! Et elle se mit à rire d’un rire niais à peine supportable chez une toute jeune fille.

Mais l’autre répéta comme dans un songe :

— Mille ! Encore trois, et les victimes de Don Juan seront vengées.

— Quoi ? Quoi ? Quoi ? caqueta la duègne en se signant, à plusieurs reprises, que dites-vous de cette âme damnée vouée à tous les démons de l’enfer ?

Elle fit semblant de ne pas comprendre, bien qu’elle connût parfaitement la pensée de sa pupille, mais sa dignité de duègne ne l’autorisait pas à être officielle-