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LE SALUT DU MAL

Personne cependant n’ose hautement l’accuser ou même commenter ses actes, car le clergé est tout-puissant et Nosseigneurs les Prélats la citent publiquement dans leurs prêches pompeux.

Par son incommensurable amour et sa fervente piété, par son dévouement à Dieu qui consiste en six chapelets à la journée et force contritions, jeûnes et communions, elle est la chrétienne la plus chrétienne qui soit. Le clergé a parlé. Personne n’ose émettre une réticence à ces déclarations formelles. On baisse la tête, on serre les coudes, et c’est tout juste si la main droite, toute tremblante d’humilité, a l’énergie encore d’esquisser un faible signe de croix.

Voilà vingt ans que Doña Rosario Amparo de Requiebros est au service de Doña Juana. Doña Rosario raconte à tort et à travers qu’elle a refusé les plus beaux partis du monde « pour ne pas abandonner la petite orpheline qui a perdu père et mère ». Elle est la duègne, et duègne si parfaitement, qu’elle est en toutes choses, en tout et pour tout, duègne avant tout. Et parce qu’elle est duègne, elle est cette association qui paraîtrait impossible sinon en Espagne, cette association parfaite de morgue austère et d’incurable coquetterie. Ses qualités sont innombrables quoique invisibles, car elle se pique de les cacher modestement, mais ses défauts, tout mignons qu’ils soient, sautent librement