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SUR TALONS ROUGES

Doña Segrario Jesusa était la fille de feu le Duc Ruiz-Luis de Buenapaz y Peshados. Sa renommée était légendaire, et bien qu’elle fût d’une beauté transcendante, réunissant à la fois la perfection plastique et l’irrésistible séduction, ce n’était pas sa beauté incontestable et incontestée qui la rendait célèbre. La vie qu’elle avait adoptée selon ses goûts et son caractère s’imposait comme un mystère insondable. Elle n’était plus de toute première jeunesse ; on savait bien qu’elle parut, voilà dix-sept ans, dans le monde, aux bals de la nouvelle Cour des Bourbons et qu’elle avait alors seize ans à peine, mais elle n’avait point encore trouvé un époux qu’elle jugeât digne d’elle et la galanterie espagnole ne voulut point admettre que depuis ce premier bal les ans eussent passés sur son front.

Doña Segrario Jesusa de Buenapaz y Peshados était donc célèbre. Mais exception faite de quelques quinquagénaires, elle était peu connue sous son vrai nom. On l’appelait Doña Juana ; la plupart des gens, même, croyaient que c’était son nom de baptême.

Doña Juana s’est attirée bien des inimitiés. Elle ne les craint pas. Elle les méprise. On la dit volage et d’une conduite que poliment on qualifie d’incompréhensible. Évidemment, elle passe pour une vivante énigme. Elle est toujours sereinement heureuse, mais elle sème autour d’elle le désespoir, la douleur, la folie, voire la mort. Cela n’influe en rien sur sa sérénité.