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L’ÂME DES MAINS

avec fureur sur les touches. Elles courent, elles volent et Walther ne peut les retenir. Elles jouent toutes les œuvres de Scarlati, sans s’arrêter. Les morceaux s’enchaînent les uns aux autres et toutes ces œuvres d’un caractère si pimpant et si frais, toutes ces mignardises galantes, hurlent et grincent, cette nuit, hurlent et grincent comme le rire des sorcières du Brocken. Tous ces motifs se déforment en grotesques et en saturnales. Les doigts s’écrasent contre les touches bousculées qui arrachent du clavecin des hurlements déchirants. Les gracieuses sonates se polluent en imprécations blasphématoires, les pastorales en danses macabres, et de cette orgie d’accords et d’arpèges, se dégage tout le maléfice de l’Enfer.

Walther voudrait arrêter ce vacarme. Il ne peut pas. Il ne peut plus retirer les doigts du clavecin… Et pourtant ce serait un si petit effort… Voyons, que faut-il pour arrêter ses mains endiablées ? Cela suffirait pour rompre le charme. Il ne peut pas, il est condamné à écouter, à subir cet ouragan de discordances… et jusqu’à quand ?… Les mains se chevauchent et se ruent en tout sens. Et c’est toujours du Scarlati, toujours de cet affreux Scarlati. Ne s’arrêteront-elles donc jamais ? Le vacarme augmente. Les mains le commandent. Elles s’agitent indépendantes, déchaînées, victorieuses. Elles frappent si violemment que les cordes une à une se cassent, et toutes ces cordes bourdonnent rageusement les unes sur les autres. Et à chaque corde qui se casse, s’échappe un cri de malé-