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L’ÂME DES MAINS

tourner la tête, sa main distraitement prit le poème d’amour de Gottfried de Strasbourg. Elle l’ouvrit au hasard et pour la première fois, elle y lut la tragique légende du philtre enchanteur. Ses yeux couraient le long des vers, mais elle ne se donnait même pas la peine d’en goûter le sens et la beauté. Son esprit était trop absorbé par la nouvelle robe qu’elle porterait demain soir au bal de l’Électeur. Ses femmes avaient encore bien à coudre. Il faudra les bousculer. Mais qu’elle sera belle dans cette robe de taffetas et de tulle ! Elle voyait déjà toute la Cour à ses pieds.

Soudain, elle entendit quelques pas dans la pièce, contiguë. C’était le petit salon de musique. Elle pensa un instant que son maître d’hôtel y mettait de l’ordre. Puis elle retomba dans sa lecture et dans sa rêverie.

Mais une musique légère se fit entendre. Une musique divine comme une cascade de perles d’Orient qui rebondissent en pluie de gemmes du haut de l’escalier du ciel, frappaient de notes joyeuses toute la gamme des marches.

— Tiens, on dirait Ceretti… Mais que fait-il à ces heures tardives chez moi ?

Elle se leva précipitamment et ouvrit la porte.

Elle poussa un cri :

— Vous !

La musique s’arrêta brusquement.

— Vous ?

Le Chevalier van Bau baisa avec effusion les mains de la Baronne.