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Les yeux noirs de Jérôme étaient beaux, mais jusqu’ici ils n’avaient rien exprimé. Ils parlèrent un nouveau langage ; c’étaient des yeux du midi ; ils respiraient l'amour des climats brûlants, voisins de l’Afrique ; chargés de langueurs, ils exprimaient une profonde ivresse. J’avais d’ailleurs des doutes sur moi-même et des inquiétudes. Je jurais un amour éternel, qu’en savais-je? Pouvais-je sitôt répondre de moi ? Jérôme était si convaincu qu’il m’entraînait à une même confiance ; mais je ne la gardais pas toujours ; puis je me faisais scrupule de la perdre et de ne pas lui avouer mes inquiétudes, qui étaient si vagues pourtant que j’aurais rougi de lui en parler.

Je me rappelle un jour alors où j’allai avec madame Bertrand voir Laure vers six heures ; Jérôme était là ; nous ne parlâmes que par nos regards ; ce fut une rencontre imprévue et charmante. Le printemps était doux et m’était devenu agréable. Tout ce temps était plein d’enchantement. Une telle agitation morale avait donné le change à ce tourment habituel qui m’était si dur ; Jérôme parlait de me respecter toujours. Il me dit des paroles qui me surprirent à une soirée chez madame du Vallon qu’il passa toute près de moi. 11 me dit qu’il désirait encore plus mon bonheur que mon amour, parole singulière ; que voulait-il dire ? Pourquoi alors m’avoir avoué qu’il m’aimait ? N’avait-il donc ni la force qui fait qu’on résiste, ni celle qui fait qu’on cède ? Mais pouvait-il être faible ou léger ? Que venait-il offrir ? une passion sublime et combattue ? Puisqu’il n’éprouvait pas de remords, passait-il à mes idées et rejetait-il cette sévérité un peu