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et il commença à venir me faire visite quand j’avais fini mes leçons. Nous causions de choses glacées et politiques ; cependant, je l’aimais sans me l’avouer ; il était un dieu pour moi ; son esprit et sa vertu, sa jeunesse et sa beauté en faisaient ce que je pouvais rencontrer de plus séduisant. Il était beau, avec une expression grave et noble, intelligente et gracieuse ; mais je n’osais voir sa beauté, je ne voyais que son mérite. Je pensais à faire quelque mariage ordinaire qui me donnât la liberté, et à consacrer ma vie à lui plaire, à le rendre sensible. Ce dessein eût fait horreur à sa vertu ; ainsi je n’osais m’y livrer. Le printemps était mélancolique ;nous étions au mois d’avril ; un soir, le 25, chez madame Davilliers, il me dit qu’il venait trop chez moi, qu’il me voyait trop, qu’il craignait un danger.

— Un danger, lui dis-je, lequel ?

— Ah ! vous m’avez compris, reprit-il.

— Non, expliquez-vous !

J’avais compris, mais j’aurais voulu qu’il s’expliquât mieux, et bien savoir mon sort. La soirée finissait, il n’en dit pas plus. Je rentrai chez moi dans un état d’agitation et de bonheur que je ne saurais exprimer. Je me couchai brisée, et je m’endormis bien tard, en souriant, réveillée, rendormie, toujours en souriant. Le lendemain en me levant, à ma toilette, j’étais comme stupide ; je restais à me coiffer, à m’habiller comme si je ne savais pas ce que je faisais ; plusieurs fois ma petite élève, très-aimable pour moi, mais très-étonnée, me dit :

— Qu’avez-vous ? que faites-vous ?

Vers deux heures, il entra. Il savait les heures où j’étais