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sujet, que des notions superficielles. Alors, elles me faisaient des réponses flasques et mucilagineuses : « Eh bien ! mon enfant, voici : les messieurs tiennent, devant leurs maîtresses, des propos qu’ils ne doivent pas tenir devant leur femme… Ces messieurs vont avec leurs maîtresses dans des endroits où ils ne doivent pas amener leur femme », etc., etc… J’avais beaucoup de peine à me payer de ces raisons, et un jour je faillis flanquer une attaque d’apoplexie à une grosse dame pudibonde, en lui demandant froidement : « Est-ce que les messieurs embrassent leurs maîtresses d’une certaine façon qu’ils ne doivent pas employer avec leur femme ? À part moi, je me disais confidentiellement : « Toi, ma petite amie, quand tu seras mariée, tu prieras ton mari de te traiter en femme légitime d’abord, et puis ensuite en maîtresse », me réservant, bien entendu, de choisir le mode de traitement qui conviendrait le mieux à mon tempérament.

— Vous parliez, approuvai-je chaudement, en femme libre et débarrassée de tout préjugé mondain.

— Oh ! vous savez, les préjugés mondains ! étant toute petite, je m’asseyais déjà dessus.

— Mais continuez, je vous prie, madame, le récit de ce qui vous advint par la suite.

— Malgré ma détestable réputation dans le monde, je me mariai tout de même et j’épousais Fernand, ce mauvais sujet-là. N’est-ce pas, Fernand, que tu es un mauvais sujet ?

— Détestable, mon petit rat, et combien répréhensible ! Quand je rentre en moi-même, je prends des bottes d’égoutier.

— Et moi, trois épaisseurs de scaphandre.

Quelques baisers s’échangèrent alors, pour démontrer que ce dégoût (évidemment joué) de leur moi n’était pas mutuel. Et la jeune femme poursuivit :

— Vous vous imaginez peut-être qu’une fois mariée, le monde allait nous ficher la paix avec les différents procédés qu’on emploie à l’égard des maîtresses et des légitimes ? Ah ben, ouiche ! Au contraire, cela ne fit que redoubler. On aurait juré que mes parents et ceux de Fernand s’étaient donnés le mot pour nous raser de leurs jérémiades bourgeoises. À les entendre,