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— j’ai travaillé le fusil et j’ai la prétention d’être arrivé à ce qu’on appelle quelque chose.

» Un article publié au commencement de ce mois dans les journaux, parlait louangeusement d’une nouvelle balle évidée de calibre cinq millimètres.

» Si la réduction du calibre produit des résultats si merveilleux, pourquoi ne pas arriver carrément au calibre de un millimètre !

» Un millimètre ! vous récriez-vous. Une aiguille, alors ?

» Parfaitement, une aiguille !

» Et comme toute aiguille qui se respecte a un chas[1] et que tout chas est fait pour être enfilé, j’enfile dans le chas de mon aiguille un solide fil de 8 kilomètres de long, de telle sorte que mon aiguille traversant 15 ou 20 hommes, ces 15 ou 20 hommes se trouvent enfilés du même coup.

» Le chas de mon aiguille — j’oubliais ce détail — est placé au milieu (c’est le cas, d’ailleurs, de beaucoup de chas), de façon qu’après avoir traversé son dernier homme, l’aiguille se place d’elle-même en travers.

» Remarquez que le tireur conserve toujours le bon bout du fil.

» Et alors, en quelques secondes, les compagnies, les bataillons, les régiments ennemis se trouvent enfilés, ficelés, empaquetés, tout prêts à être envoyés vers des lieux de déportation.

» Le voilà bien, le fusil à aiguille, le voilà bien !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

(Suivent quelques détails personnels non destinés à la publicité et des formules de courtoise sympathie qui n’apprendraient rien au lecteur.)

 » Élie Coïdal… »

Et dire que les Comités n’auront qu’un cri pour repousser l’idée, pourtant si simple et si définitive, de mon ami le lieutenant Élie Coïdal !

Et savez-vous pourquoi ?

Tout simplement parce que le lieutenant Élie Coïdal n’est pas de l’artillerie.

Il est défendu, paraît-il, à un chasseur alpin d’avoir du génie.

Voilà où nous en sommes après une trentaine d’années de République !

  1. Beaucoup de personnes, dévorées par le Démon de l’Analogie, disent le chat d’une aiguille. Ces personnes ont tort : on doit écrire le chas.

    Bescherelle, que je viens de consulter pour illuminer ma religion, ajoute une notice rétrospective et suggestive éminemment :

    « Se disait autrefois de la fente entre deux poutres. On dit maintenant travée.

    Travée… j’aurais beaucoup de peine à me faire à ce mot-là.