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Et Daudet ?


— Et Daudet ? me demanda le capitaine Flambeur.

— Daudet ? m’interloquai-je. Quel Daudet ?

— Eh bien ! Daudet, parbleu, l’auteur, Alphonse Daudet !

— À propos de quoi me parlez-vous de Daudet ?

— Pour savoir s’il est un peu recalé.

— Recalé ?… Daudet ?…

Alors, subitement, une flambée de ressouvenance m’éclaira.

— Ah ! oui, Daudet !… Eh bien ! oui, il est tout à fait recalé maintenant !

— Tant mieux ! tant mieux !… Pauvre gars !

Pour la clarté de ce récit, comme dit Georges Ohnet, il nous faut revenir de quelques années en arrière.

Le père Flambeur, un vieux capitaine au long cours de mon pays, le meilleur homme de la terre, extrêmement rigolo (ce qui ne gâte rien), débarqua un jour à Paris, pour voir l’Exposition de 1889.

(Le but de ce voyage m’évite la peine de vous indiquer la date.)

Tout de suite, il arriva au Chat noir où je tenais mes grandes et petites assises et me promut son cicerone.

J’acceptai avec joie, le père Flambeur étant un joyeux et dépensier drille, moi pas très riche, à l’époque (et pas davantage, d’ailleurs, maintenant)[1].

Ce vieux loup de mer avait une manie étrange : connaître des grands hommes.

Je lui en servis autant qu’il voulut.

À vrai dire, ce n’étaient point des grands hommes absolument authentiques, mais les camarades se prêtaient de bonne grâce à cette innocente supercherie, qui n’était point sans leur rapporter des choucroutes garnies et des bocks bien tirés.

— Mon cher Zola, permettez-moi de vous présenter un de mes bons amis, le capitaine Flambeur.

— Enchanté, monsieur.

Ou bien :

— Tiens, Bourget ! Comment ça va ?… M. Paul Bourget… Le capitaine Flambeur.

— Très honoré, monsieur.

Émile Zola, autant que je puis me le rappeler, était représenté par mon ami Georges Moynet, avec lequel il a une vague analogie.

Quant à Bourget, son pâle sosie se trouvait être une manière de peintre hollandais dont j’ai oublié le nom et qui

  1. Depuis que ces lignes furent écrites pour la première fois, un riche mariage a sensiblement amélioré ma situation.