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Un tel début n’était point fait pour me déplaire. Je me rapprochai.

Il demanda de quoi écrire.

Les premières phrases qu’il écrivit, il en froissa le papier et le déjeta sous la table.

Ainsi fut de pas mal de suivantes. Les brouillons de lettres jonchaient le sol.

De la même voix nonchalante, il me dit :

— Moi… je suis un type dans le genre de Flaubert… je suis excessivement difficile pour mon style.

Et nous nous connûmes davantage.

Comme une confidence en vaut une autre, je lui avouai que j’étais né à Honfleur. Une moue lui vint :

— Moi… je suis un type dans le genre de Charlemagne… je n’aime pas beaucoup les Normands.

Le malentendu s’éclaircit, et je sus d’où il était :

— Moi… je suis un type dans le genre de Puvis de Chavannes… je suis né à Lyon.

Son père, un boucher des Brotteaux, avait tenu à ce qu’il débutât dans la partie :

— Moi… je suis un type dans le genre de Shakespeare… j’ai été garçon boucher.

De la bonne amie qu’il détenait, voici comment j’appris le nom :

— Moi… je suis un type dans le genre de Napoléon Ier… ma femme s’appelle Joséphine.

La susdite le trompa avec un Anglais. Il n’en ressentit qu’une dérisoire angoisse.

— Moi… je suis un type dans le genre de Molière… je suis cocu.

Joséphine et lui, d’ailleurs, n’étaient point faits pour s’entendre. Joséphine avait la folie des jeunes hommes à peau très blanche. Et il ajoutait :

— Moi… je suis un type dans le genre de Taupin…

(Le reste de la phrase se perdit dans la rafale.)

Nous résolûmes, un jour, de déjeuner ensemble… Rendez-vous à midi