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Une petite femme bien moderne


Il y avait une fois une petite femme rudement gentille et qui avait oublié d’être bête, je vous en fiche mon billet.

Son mari, lui, était laid comme un pou, et bête comme un cochon.

Les sentiments que la petite femme nourrissait à l’égard de son mari n’auraient pas suffi (pour ce qui est de la température) à faire fondre seulement deux liards de beurre, cependant que lui se serait, pour sa petite femme précipité dans les flammes ou dans l’eau, sur un signe d’elle.

Des faits de telle nature sont, d’ailleurs, fréquemment constatables en maint ménage contemporain.

Cette gentille petite dame et ce vilain homme croupissaient dans une indigence fâcheuse. L’or ne foisonnait pas dans leur coffre-fort ; et même, ils n’avaient pas de coffre-fort.

L’homme lui, s’en serait fichu pas mal, d’être pauvre — avec quatre sous de charcuterie et un veston d’alpaga, il se trouvait heureux — mais, pour sa jolie petite épouse, il souffrait de cette pauvreté et des voisins l’entendirent souvent répéter :

— Mon Dieu, c’est-y embêtant d’être aussi nécessiteux !

Pour toutes ressources, il avait une petite place de comptable dans une maison qui venait de se fonder pour l’importation générale du phylloxera dans le Nord de l’Espagne (En liquidation, depuis.)

Si ses appointements atteignaient 1,800 ou 2,000, c’est tout le bout du monde.

Je ne vous connais pas, mais je voudrais voir la tête que vous feriez avec 2,000 francs par an, surtout si vous vous trouviez l’époux d’une petite femme se drapant plus volontiers de surah que de moleskine.

Heureusement qu’il était très bête