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publique française lui rendait les plus vifs services auprès des caporaux et sergents, braves bougres pour qui la crainte de la presse est le commencement de la sagesse.

Dans les environs de Noël, Lapouille fit comme les autres et sollicita une permission de huit jours pour aller à Paris, se retremper un peu dans le sein de sa famille.

Lapouille ne vit pas son désir exaucé, sa conduite précédente ne le désignant nullement pour une telle faveur.

Notre ami ne manifesta aucun désespoir, n’éleva aucune réclamation, mais je puis vous assurer que le jour de Noël, quand, à l’appel du soir, le caporal de chambrée nomma Lapouille, personne ne répondit, par cette excellente raison que Lapouille se trouvait à Paris, en train de sabler le vin chaud avec quelques-uns de ses amis.

La petite fête dura six jours.

Le jeune Lapouille semblait s’occuper de son régiment comme de ses premières galoches. Il avait retrouvé une petite bonne amie, de joyeux camarades, carotté quelque argent à sa famille. Le temps se tuait gaiement.

Le soir du sixième jour, comme il dînait en joyeuse compagnie, un copain, qui avait servi, lui dit tranquillement, au dessert :

— Tu n’as pas l’air de t’en douter, mon bonhomme, mais c’est ce soir que tu vas être porté déserteur !

Malgré son mépris des règlements militaires, Lapouille éprouva un petit tressaillement désagréable… Déserteur.

Il eut une rapide et désenchanteresse vision de Bat d’Af, de silos, de cailloux cassés sur une route peu ombragée.

En un mot, Lapouille ne rigolait plus.

Il acheva de dîner, passa la soirée avec ses amis et se retira discrètement vers onze heures.

Vingt minutes après, il était place Vendôme et abordait le factionnaire du gouvernement de Paris.

— Bonsoir, mon vieux. Sale temps, hein !

Le factionnaire, un garçon sérieux, ne répondit point. Lapouille insista :

— C’est là que demeure le gouverneur de Paris, dis ?

— Oui, c’est là.

— Eh bien, va lui dire que j’ai à lui parler.

— Dis donc, t’es pas fou, toi, de vouloir parler au gouverneur de Paris, à c’t’-heure-là ?

— T’occupe pas de ça, mon vieux. Va lui dire que j’ai à lui parler, tout de suite.

— Tu ferais mieux d’aller te coucher. T’es saoul, tu vas te faire f… dedans.

— Tu ne veux pas aller chercher le gouverneur de Paris ? Une fois, deux fois…