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lui faire des reproches. Comme cet industriel le prenait de haut, assurant que les water-proofs n’étaient pas sa spécialité et que, moi, je lui disais simplement et souriant : « Pardon, monsieur, votre marchandise a perdu, sous l’averse, environ vingt pour cent de sa superficie, il serait de toute justice que vous tinssiez compte de cet incontestable déchet, » il me répondit, avec un toupet d’enfer : « Pardon, monsieur, si ma marchandise, au lieu de rétrécir, s’était allongée et élargie, seriez-vous venu de votre plein gré m’apporter une somme proportionnelle et supplémentaire ? » Qu’est-ce que tu veux objecter à ça ?

— Rien, mon pauvre ami.

— Je te le disais bien, mon vieux, y a qu’à moi que ça arrive, ces machines-là !

— Et du côté du cœur, au moins, es-tu plus heureux ?

— Ah ! oui, parlons-en, il est chouette, mon cœur !… Jeudi dernier, je vais dîner dans la famille Crauck, et je tombe éperdument amoureux d’Odile, l’aînée des jeunes filles…

— Je la connais, la petite Crauck (Odile), charmante !

— Éperdument amoureux ! Le lendemain je la rencontre dans une soirée, et je lui annonce ma visite pour le lendemain. Elle semble un peu étonnée et me demande la cause de cette démarche… Tu sais comme on est bête quand on est amoureux ?

— Je sais.

— Alors, je lui dis : « Mademoiselle, c’est que j’ai laissé quelque chose chez vous.

— Quoi donc ? demanda-t-elle.

— Mon cœur ! Ça n’était pas, évidemment, très spirituel, mais quand on est sincère…

— Et que t’a-t-elle répondu ?

— Jamais tu ne t’en douterais, et si froidement : « Monsieur, a-t-elle dit, je n’ai pas trouvé l’objet dont vous parlez, mais ce soir, en rentrant, je dirai à la bonne de regarder… Il est peut-être dans les balayures ! »

— Mon pauvre garçon !

— Y a qu’à moi que ça arrive, ces machines-là !