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l’Union[1] pour diriger les affaires du royaume sous la présidence du duc de Mayenne. Il y mit plus de discrétion que son père ; mais tous les deux servirent la même cause de tout leur pouvoir et avec l’autorité que leur donnaient d’importantes fonctions. Tous les deux furent accusés de tiédeur et de trahison par les plus fougueux ligueurs ; tous les deux furent accusés plus justement par les politiques d’avoir pris part[2] à la journée du 15 novembre 1591, où furent pendus le premier président du parlement Bresson, le plus ancien conseiller de la grand’chambre Larcher, et Tardif, conseiller au Châtelet. Quand le duc de Mayenne brisa la puissance des Seize, les deux la Bruyère coururent de grands dangers[3]. Le lieutenant civil faillit être pris et étranglé. Guillaume du Vair, alors conseiller au parlement, se vanta de lui avoir sauvé la vie. Lorsque Henri IV entra dans Paris, 30 mars 1594, les la Bruyère furent exilés et leurs biens confisqués. Ils se retirèrent en terres espagnoles à Anvers dans les Pays-Bas.

Le roi Henri IV offrit à ceux qu’il exilait de les maintenir dans leurs terres et offices, s’ils voulaient lui prêter serment de fidélité. Les la Bruyère refusèrent. Ils supposaient sans doute que le nouvel établissement politique en France ne durerait pas. « Quand le peuple est en mouvement[4], on ne comprend pas comment le calme peut y rentrer. » Cependant, sous le règne réparateur du Béarnais, la France se relevait de ses ruines. Ce Bourbon jadis détesté des Français, et à qui les ligueurs croyaient avoir fermé à tout jamais le chemin du trône, maintenant victorieux de tous ses ennemis et adoré de ses sujets, finit par établir dans ses États le bon ordre et la tranquillité. Le peuple était devenu si paisible[5] qu’on ne voyait plus comment le calme pourrait en sortir. Le vieux Jehan de la Bruyère ne survécut pas longtemps, je suppose, à la ruine de son parti. Mathias de la Bruyère vieillit en exil. Il méditait le chapitre xviii de saint Luc, où se trouvent ces paroles : « Vous voyez, Seigneur, que nous avons tout quitté et que nous vous avons suivi ; » le Christ déclare que personne ne quittera pour le royaume de Dieu sa maison ou son

  1. Bibliothèque de l’École des Chartes, année 1845-1846, p. 422 et suivantes. Un article par Taillandier.
  2. Chronologie novennaire de Palma Cayet, p. 327.
  3. Anecdotes de du Vair, à la suite des Mémoires de Marguerite de Valois, par Ludovic de Lalanne ; Bibliothèque elzévirienne, 1858, p. 241.
  4. Chap. x, n° 6.
  5. Chap. x, n° 6.