Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/97

Cette page a été validée par deux contributeurs.

après avoir frappé le chef de l’autorité judiciaire, et l’agent du Cardinal même qui allait le présenter au Roi. Il remarqua aussi qu’il s’était assemblé autour de lui une foule de gens de la lie du peuple, parmi lesquels il rougissait de se trouver. Il suivit donc sans raisonner son vieux domestique, et trouva en effet les trois autres serviteurs qui l’attendaient. Malgré la pluie et le vent, il monta à cheval et fut bientôt sur la grand’route avec son escorte, ayant pris le galop pour ne pas être poursuivi.

À peine sorti de Loudun, le sable du chemin, sillonné par de profondes ornières que l’eau remplissait entièrement, le força de ralentir le pas. La pluie continuait à tomber par torrents, et son manteau était presque traversé. Il en sentit un plus épais recouvrir ses épaules ; c’était encore son vieux valet de chambre qui l’approchait et lui donnait ces soins maternels.

— Eh bien, Grandchamp, à présent que nous voilà hors de cette bagarre, dis-moi donc comment tu t’es trouvé là, dit Cinq-Mars, quand je t’avais ordonné de rester chez l’abbé. — Parbleu ! monsieur, répondit d’un air grondeur le vieux serviteur, croyez-vous que je vous obéisse plus qu’à M. le maréchal ? Quand feu mon maître me disait de rester dans sa tente et qu’il me voyait derrière lui dans la fumée du canon, il ne se plaignait pas, parce qu’il avait un cheval de rechange quand le sien était tué, et il ne me grondait qu’à la réflexion. Il est vrai que pendant quarante ans que je l’ai servi, je ne lui ai jamais rien vu faire de semblable à ce que vous avez fait depuis quinze jours que je suis avec vous. Ah ! ajouta-t-il en soupirant, nous allons bien, et, si cela continue, je suis destiné à en voir de belles, à ce qu’il paraît.

— Mais sais-tu, Grandchamp, que ces coquins avaient