Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/92

Cette page a été validée par deux contributeurs.

plutôt porté par six hommes vêtus en pénitents noirs, car ses jambes unies et entourées de bandages ensanglantés semblaient rompues et incapables de le soutenir. Il y avait tout au plus deux heures que Cinq-Mars ne l’avait vu, et cependant il eut peine à reconnaître la figure qu’il avait remarquée à l’audience : toute couleur, tout embonpoint en avaient disparu ; une pâleur mortelle couvrait une peau jaune et luisante comme l’ivoire ; le sang paraissait avoir quitté toutes ses veines ; il ne restait de vie que dans ses yeux noirs, qui semblaient être devenus deux fois plus grands, et dont il promenait les regards languissants autour de lui ; ses cheveux bruns étaient épars sur son cou et sur une chemise blanche qui le couvrait tout entier ; cette sorte de robe à larges manches avait une teinte jaunâtre et portait avec elle une odeur de soufre ; une longue et forte corde entourait son cou et tombait sur son sein. Il ressemblait à un fantôme, mais à celui d’un martyr.

Urbain s’arrêta, ou plutôt fut arrêté sur le péristyle de l’église : le capucin Lactance lui plaça dans la main droite et y soutint une torche ardente, et lui dit avec une dureté inflexible : — Fais amende honorable, et demande pardon à Dieu de ton crime de magie.

Le malheureux éleva la voix avec peine, et dit, les yeux au ciel :

— Au nom du Dieu vivant, je t’ajourne à trois ans, Laubardemont, juge prévaricateur ! On a éloigné mon confesseur, et j’ai été réduit à verser mes fautes dans le sein de Dieu même, car mes ennemis m’entourent : j’en atteste ce Dieu de miséricorde, je n’ai jamais été magicien ; je n’ai connu de mystères que ceux de la religion catholique, apostolique et romaine, dans laquelle je meurs : j’ai beaucoup péché contre moi, mais jamais contre Dieu et Notre-Seigneur…