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Guillaume Leroux en regardant tous ses enfants irrités qui se parlaient bas en mesurant et comptant les archers. Ils se moquaient même de leur habit, et commençaient à les montrer au doigt.

Cinq-Mars, toujours adossé au pilier derrière lequel il s’était placé d’abord, toujours enveloppé dans son manteau noir, dévorait des yeux tout ce qui se passait, ne perdait pas un mot de ce qu’on disait et remplissait son cœur de fiel et d’amertume ; de violents désirs de meurtre et de vengeance, une envie indéterminée de frapper, le saisissaient malgré lui : c’est la première impression que produise le mal sur l’âme d’un jeune homme ; plus tard, la tristesse remplace la colère ; plus tard, c’est l’indifférence et le mépris ; plus tard encore, une admiration calculée pour les grands scélérats qui ont réussi ; mais c’est lorsque, des deux éléments de l’homme, la boue l’emporte sur l’âme.

Cependant, à droite de la salle, et près de l’estrade élevée pour les juges, un groupe de femmes semblait fort occupé à considérer un enfant d’environ huit ans, qui s’était avisé de monter sur une corniche à l’aide des bras de sa sœur Martine que nous avons vue plaisantée à toute outrance par le jeune soldat Grand-Ferré. Cet enfant, n’ayant plus rien à voir après la sortie du tribunal, s’était élevé, à l’aide des pieds et des mains, jusqu’à une petite lucarne qui laissait passer une lumière très-faible, et qu’il pensa renfermer un nid d’hirondelles ou quelque autre trésor de son âge ; mais, quand il se fut bien établi les deux pieds sur la corniche du mur et les mains attachées aux barreaux d’une ancienne châsse de saint Jérôme, il eût voulu être bien loin et cria :

— Oh ! ma sœur, ma sœur, donne-moi la main pour descendre !

— Qu’est-ce que tu vois donc ? s’écria Martine.