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quoique ce soit une triste expérience que vous y deviez trouver ; mais elle suppléera à ce que je ne vous ai pas dit autrefois de la perversité des hommes ; j’espère d’ailleurs que la fin ne sera pas sanglante, et que la lettre que nous avons écrite au roi aura le temps d’arriver.

— J’ai entendu dire qu’elle était interceptée, dit Cinq-Mars.

— C’en est fait alors, dit l’abbé Quillet ; le curé est perdu. Mais écoutez-moi bien.

À Dieu ne plaise, mon enfant, que ce soit moi, votre ancien instituteur, qui veuille attaquer mon propre ouvrage et porter atteinte à votre foi. Conservez-la toujours et partout, cette foi simple dont votre noble famille vous a donné l’exemple, que nos pères avaient plus encore que nous-mêmes, et dont les plus grands capitaines de nos temps ne rougissent pas. En portant votre épée, souvenez-vous qu’elle est à Dieu. Mais aussi, lorsque vous serez au milieu des hommes, tâchez de ne pas vous laisser tromper par l’hypocrite ; il vous entourera, vous prendra, mon fils, par le côté vulnérable de votre cœur naïf, en parlant à votre religion ; et, témoin des extravagances de son zèle affecté, vous vous croirez tiède auprès de lui, vous croirez que votre conscience parle contre vous-même ; mais ce ne sera pas sa voix que vous entendrez. Quels cris elle jetterait, combien elle serait plus soulevée contre vous, si vous aviez contribué à perdre l’innocence en appelant contre elle le ciel même en faux témoignage !

— Ô mon père ! est-ce possible ? dit Henry d’Effiat en joignant les mains.

— Que trop véritable, continua l’abbé ; vous en avez vu l’exécution en partie ce matin. Dieu veuille que vous ne soyez pas témoin d’horreurs plus grandes ! Mais écoutez bien : quelque chose que vous voyiez se passer,