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publique n’eut pas d’autre aliment, il devint le but de tous les regards. Fatigués de tant de scènes, les habitants le voyaient avec assez de mécontentement, et se demandaient à demi-voix si c’était encore un exorciseur qui leur arrivait : quelques paysans même commençaient à trouver qu’il embarrassait la rue avec ses cinq chevaux. Il sentit qu’il était temps de prendre son parti, et choisissant sans hésiter les gens les mieux mis, comme ferait chacun à sa place, il s’avança avec sa suite et le chapeau à la main vers le groupe noir dont nous avons parlé, et, s’adressant au personnage qui lui parut le plus distingué :

— Monsieur, dit-il, où pourrais-je voir M. l’abbé Quillet ?

À ce nom, tout le monde le regarda avec un air d’effroi, comme s’il eût prononcé celui de Lucifer. Cependant personne n’en eut l’air offensé ; il semblait, au contraire, que cette demande fit naître sur lui une opinion favorable dans les esprits. Du reste le hasard l’avait bien servi dans son choix. Le comte du Lude s’approcha de son cheval en le saluant :

— Mettez pied à terre, monsieur, lui dit-il, et je vous pourrai donner sur son compte d’utiles renseignements.

Après avoir parlé fort bas, tous deux se quittèrent avec la cérémonieuse politesse du temps. Cinq-Mars remonta sur son cheval noir, et, passant dans plusieurs petites rues, fut bientôt hors de la foule avec sa suite.

— Que je suis heureux ! disait-il chemin faisant : je vais voir du moins un instant ce bon et doux abbé qui m’a élevé ; je me rappelle encore ses traits, son air calme et sa voix pleine de bonté.

Comme il pensait tout ceci avec attendrissement, il se trouva dans une petite rue fort noire qu’on lui avait indiquée ; elle était si étroite, que les genouillères de ses bottes touchaient aux deux murs. Il trouva au bout une