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qui s’ouvrit en silence pour examiner cet appareil à moitié ridicule et à moitié sinistre.

Des archers à barbe pointue, portant de larges chapeaux à plumes, marchaient d’abord sur deux rangs avec de longues hallebardes, puis, se partageant en deux files de chaque côté de la rue, renfermaient dans cette double ligne deux lignes pareilles de pénitents gris ; du moins donnerons-nous ce nom, connu dans quelques provinces du midi de la France, à des hommes revêtus d’une longue robe de cette couleur, qui leur couvre entièrement la tête en forme de capuchon, et dont le masque de la même étoffe se termine en pointe sous le menton comme une longue barbe, et n’a que trois trous pour les yeux et le nez. On voit encore de nos jours quelques enterrements suivis et honorés par des costumes semblables, surtout dans les Pyrénées. Les pénitents de Loudun avaient des cierges énormes à la main, et leur marche lente, et leurs yeux qui semblaient flamboyants sous le masque, leur donnaient un air de fantômes qui attristait involontairement.

Les murmures en sens divers commencèrent dans le peuple.

— Il y a bien des coquins cachés sous ce masque, dit un bourgeois.

— Et dont la figure est plus laide encore que lui, reprit un jeune homme.

— Ils me font peur ! s’écriait une jeune femme.

— Je ne crains que pour ma bourse, répondit un passant.

— Ah ! Jésus ! voilà donc nos saints frères de la Pénitence, disait une vieille en écartant sa mante noire. Voyez-vous quelle bannière ils portent ? quel bonheur qu’elle soit avec nous ! certainement elle nous sauvera : voyez-vous dessus le diable dans les flammes, et un moine qui