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de voir que, dans ce siècle encore désordonné, le clergé, pareil à une grande nation, eut sa populace, comme il eut sa noblesse ; ses ignorants et ses criminels, comme ses savants et vertueux prélats. Depuis ce temps, ce qui lui restait de barbarie fut poli par le long règne de Louis XIV, et ce qu’il eut de corruption fut lavé dans le sang des martyrs qu’il offrit à la Révolution de 1793. Ainsi, par une destinée toute particulière, perfectionné par la monarchie et la république, adouci par l’une, châtié par l’autre, il nous est arrivé ce qu’il est aujourd’hui, austère et rarement vicieux.

Nous avons éprouvé le besoin de nous arrêter un moment à cette pensée avant d’entrer dans le récit des faits que nous offre l’histoire de ces temps, et, malgré cette consolante observation, nous n’avons pu nous empêcher d’écarter les détails trop odieux en gémissant encore sur ce qui reste de coupables actions, comme en racontant la vie d’un vieillard vertueux on pleure sur les emportements de sa jeunesse passionnée ou les penchants corrompus de son âge mûr.

Lorsque la cavalcade entra dans les rues étroites de Loudun, un bruit étrange s’y faisait entendre, elles étaient remplies d’une foule immense ; les cloches de l’église et du couvent sonnaient de manière à faire croire à un incendie, et tout le monde, sans nulle attention aux voyageurs, se pressait vers un grand bâtiment attenant à l’église. Il était facile de distinguer sur les physionomies des traces d’impressions fort différentes et souvent opposées entre elles. Des groupes et des attroupements nombreux se formaient, le bruit des conversations y cessait tout à coup, et l’on n’y entendait plus qu’une voix qui semblait exhorter ou lire, puis des cris furieux mêlés de quelques exclamations pieuses s’élevaient de tous côtés ; le groupe se dissipait, et l’on voyait que l’orateur était