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de l’autre côté, renversant le jeu. Marie de Mantoue, sans connaissance, était dans les bras de la Reine ; celle-ci, pleurant amèrement, dit à l’oreille du Roi :

— Ah ! Sire, vous avez une hache à deux tranchants !

Elle donnait ensuite des soins et des baisers maternels à la jeune princesse, qui, entourée de toutes les femmes de la cour, ne revint de son évanouissement que pour verser des torrents de larmes. Sitôt qu’elle rouvrit les yeux :

— Hélas ! oui, mon enfant, lui dit Anne d’Autriche, ma pauvre enfant, vous êtes reine de Pologne.




Il est arrivé souvent que le même événement qui faisait couler des larmes dans le palais des rois a répandu l’allégresse au dehors ; car le peuple croit toujours que la joie habite avec les fêtes. Il y eut cinq jours de réjouissances pour le retour du ministre, et chaque soir, sous les fenêtres du Palais-Cardinal et sous celles du Louvre, se pressaient les habitants de Paris ; les dernières émeutes les avaient, pour ainsi dire, mis en goût pour les mouvements publics ; ils couraient d’une rue à l’autre avec une curiosité quelquefois insultante et hostile, tantôt marchant en processions silencieuses, tantôt poussant de longs éclats de rire ou des huées prolongées dont on ignorait le sens. Des bandes de jeunes hommes se battaient dans les carrefours, et dansaient en rond sur les places publiques, comme pour manifester quelque espérance inconnue de plaisir et quelque joie insensée qui serrait le cœur. Il était remarquable que le silence le plus triste régnait justement dans les lieux que les ordres du