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Cardinal-Duc, qui méditait lentement ses coups d’échecs ; Mazarin seul, appuyé sur le bras de son fauteuil, et suivant les coups avec une attention servile, faisait des gestes d’admiration toutes les fois que le Cardinal avait joué. L’application sembla dissiper un moment le nuage qui couvrait le front du ministre : il venait d’avancer une tour qui mettait le roi de Louis XIII dans cette fausse position qu’on nomme Pat, situation où ce roi d’ébène, sans être attaqué personnellement, ne peut cependant ni reculer ni avancer dans aucun sens. Le Cardinal, levant les yeux, regarda son adversaire, et se mit à sourire d’un côté des lèvres seulement, ne pouvant peut-être s’interdire un secret rapprochement. Puis, en voyant les yeux éteints et la figure mourante du prince, il se pencha à l’oreille de Mazarin, et lui dit :

— Je crois, ma foi, qu’il partira avant moi ; il est bien changé.

En même temps, il lui prit une longue et violente toux ; souvent il sentait en lui cette douleur aiguë et persévérante ; à cet avertissement sinistre il porta à sa bouche un mouchoir qu’il en retira sanglant ; mais, pour le cacher, il le jeta sous la table, et sourit en regardant sévèrement autour de lui, comme pour défendre l’inquiétude.

Louis XIII, parfaitement insensible, ne fit pas le plus léger mouvement, et rangea ses pièces pour une autre partie avec une main décharnée et tremblante. Ces deux mourants semblaient tirer au sort leur dernière heure.

En cet instant une horloge sonna minuit. Le Roi leva la tête :

— Ah ! ah ! dit-il froidement, ce matin, à la même heure, M. le Grand, notre cher ami, a passé un mauvais moment.

Un cri perçant partit auprès de lui ; il frémit et se jeta