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sonne à l’âge du premier amour ; mais le sommeil ne lui permettait jamais de l’achever ; et la fatigue de la danse fermait ses grands yeux noirs avant que ses idées eussent trouvé le temps de se classer dans sa mémoire, et de lui présenter des images bien nettes du passé. Dès son réveil, elle se voyait entourée des jeunes princesses de la cour, et, à peine en état de paraître, elle était forcée de passer chez la Reine, où l’attendaient les éternels mais moins désagréables hommages du prince Palatin ; les Polonais avaient eu le temps d’apprendre à la cour de France cette réserve mystérieuse et ce silence éloquent qui plaisent tant aux femmes, parce qu’ils accroissent l’importance des secrets toujours cachés, et rehaussent les êtres que l’on respecte assez pour ne pas oser même souffrir en leur présence. On regardait Marie comme accordée au roi Uladislas ; et elle-même, il faut le confesser, s’était si bien faite à cette idée, que le trône de Pologne occupé par une autre reine lui eût paru une chose monstrueuse : elle ne voyait pas avec bonheur le moment d’y monter, mais avait cependant pris possession des hommages qu’on lui rendait d’avance. Aussi, sans se l’avouer à elle-même, exagérait-elle beaucoup les prétendus torts de Cinq-Mars que la Reine lui avait dévoilés à Saint-Germain.

— Vous êtes fraîche comme les roses de ce bouquet, dit la Reine ; allons, ma chère enfant, êtes-vous prête ? Quel est ce petit air boudeur ? Venez, que je referme cette boucle d’oreilles… N’aimez-vous pas ces topazes ? Voulez-vous une autre parure ?

— Oh ! non, madame, je pense que je ne devrais pas me parer, car personne ne sait mieux que vous combien je suis malheureuse. Les hommes sont bien cruels envers nous ! Je réfléchis encore à tout ce que vous m’avez dit, et tout m’est bien prouvé actuellement. Oui, il est bien