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de quelques loges, mais l’impassible parterre était plus silencieux que jamais ; laissant la scène se passer entre le théâtre et les régions supérieures, il s’obstinait à demeurer neutre. Le maître de l’Europe et de la France, jetant alors un regard de feu sur ce petit amas d’hommes qui osaient ne pas admirer son œuvre, sentit dans son cœur le vœu de Néron, et pensa un moment combien il serait heureux qu’il n’y eût là qu’une tête.

Tout à coup cette masse noire et immobile s’anima, et des salves interminables d’applaudissements éclatèrent, au grand étonnement des loges, et surtout du ministre. Il se pencha, saluant avec reconnaissance ; mais il s’arrêta en remarquant que les battements de mains interrompaient les acteurs toutes les fois qu’ils voulaient recommencer. Le roi fit ouvrir les rideaux de sa loge, fermés jusque-là, pour voir ce qui excitait tant d’enthousiasme ; toute la cour se pencha hors des colonnes : on aperçut alors dans la foule des spectateurs, assis sur le théâtre, un jeune homme humblement vêtu, qui venait de se placer avec peine ; tous les regards se portaient sur lui. Il en paraissait fort embarrassé, et cherchait à se couvrir de son petit manteau noir trop court. Le Cid ! le Cid ! cria le parterre, ne cessant d’applaudir. Corneille, effrayé, se sauva dans les coulisses, et tout retomba dans le silence.

Le Cardinal, hors de lui, fit fermer les rideaux de sa loge et se fit emporter dans ses galeries.

Ce fut là que s’exécuta une autre scène préparée dès longtemps par les soins de Joseph, qui avait sur ce point endoctriné les gens de sa suite avant de quitter Paris. Le cardinal Mazarin, s’écriant qu’il était plus prompt de faire passer Son Éminence par une longue fenêtre vitrée qui ne s’élevait qu’à deux pieds de terre, et conduisait de sa loge aux appartements, la fit ouvrir, et les pages y firent passer le fauteuil. Aussitôt cent voix s’élevèrent